jeudi 16 septembre 2010

Présentation du Livre de B. Friot : L'enjeu des retraites


Bernard Friot, L’enjeu des retraites, La Dispute, Travail et salariat, 2010, 12 euros.

Bernard Friot a manifesté un intérêt certain pour la question des retraites depuis au moins deux décennies. Un stage de l’Apses à Strasbourg l’avait ainsi accueilli à l’initiative de Bernard Anclin (selon mes souvenirs). Il dirige la collection « travail et salariat » de l’éditeur La Dispute et y publie L’enjeu des retraites, un ouvrage qui répond à l’actualité de la question avec la réforme des retraites.
Bernard Friot y distingue deux conceptions opposées de la retraite compatibles avec la répartition, il défend la seconde. La première conception – néolibérale – de la retraite présente celle-ci « salaire différé », contrepartie d’un travail. Le montant de la retraite est alors assis sur un calcul d’actualisation : les cotisations sont fictivement cumulées dans un compte notionnel – à la suédoise – laissant en permanence au salarié la possibilité de consulter le montant accumulé et la pension équivalente (calculée en faisant le cumul des cotisations divisé par l’espérance de vie de sa cohorte à la date de liquidation) ; au-delà d’un âge plancher, l’actif prend individuellement la décision de partir en retraite (en liquidant ses droits à retraite) réalisant un arbitrage coût (la perte de revenu du fait d’un montant de retraite inférieur au dernier salaire, en prenant en compte le taux de remplacement) avantage (utilité des loisirs contre pénibilité du travail).  Ce « salaire différé » correspond à la formule « J’ai cotisé, j’ai droit. », selon un principe assurantiel caractéristique de la protection sociale. B. Friot défend la seconde conception selon laquelle la retraite constituerait un salaire continué dont le niveau serait assis sur la qualification. Ce « salaire différé » correspond à la formule « J’ai une qualification, j’ai droit. ». En effet, cela semble une évidence face au risque vieillesse d’échapper au travail (en tout cas à l’emploi) tout en percevant un revenu voisin.

La réforme actuelle des retraites a selon lui plusieurs conséquences négatives : l’augmentation de la durée de cotisation et l’abaissement du niveau des pensions, l’augmentation des décotes, le recul de l’âge de liquidation, la diminution du taux de remplacement, l’augmentation des inégalités de retraite, l’obscurcissement et le ralentissement de la construction du statut des retraités comme dégagés de la tyrannie de la valeur travail, le maintien des retraités dans le statut d’inactifs relevant de la prévoyance. Est en jeu la perception même du retraité, « à charge de la société » et ne devant compter que sur lui-même, sauf à vivre la « déchéance » de dépendre de l’aide sociale. Donc la réforme actuelle affaiblit grandement la solidarité intergénérationnelle et intragénérationnellle.

B. Friot retrace l’histoire des pensions avant la réforme actuelle. Les premières pensions de retraite datent de 1853 avec la pension de retraite des fonctionnaires (la retraite est alors un traitement continué et constitue une reconnaissance de la qualification puisque liée au grade). Le régime général créé en 1945 souffre du refus des cheminots, des travailleurs de l’énergie (gros bastions de la CGT) d’intégrer le régime général, ainsi que du refus des indépendants préférant des régimes spécifiques. Les fonctionnaires ne sont pas non plus intégrés dans le régime général et dépendent de régimes spécifiques de fonctionnaires. La loi de 1948 prévoit l’indexation des pensions sur les salaires. En 1956 apparaît le minimum vieillesse pour limiter la pauvreté des personnes âgées. En 1987, la réforme Seguin indexe les retraites sur les prix. En 1993, la réforme Rocard-Bérégovoy est avortée mais aussitôt suivie de la réforme Balladur « réussie » qui prévoit la séparation du contributif et du non contributif (principe établi par Rocard dès 1991) et le durcissement des conditions de perception d’une retraite à taux plein pour le privé. La réforme Juppé de 1995 a rencontré une opposition massive. En 1999, le gouvernement Jospin crée le Fonds de réserve des retraites (insuffisamment abondé). En 2001, Jospin crée le COR, Conseil d’orientation des retraites, qui constitue un référentiel consensuel de la réforme. La réforme Fillon-Chérèque de 2003 (sous gouvernement Raffarin) prévoit l’alignement du public sur le privé en reprenant les conditions du privé pour une retraite à taux plein. La réforme Bertrand de 2008 (sous gouvernement Fillon) complète les précédentes. Le rapport du COR de janvier 2010 traduit dans la réforme en cours marque un coup d’arrêt quantitatif au mouvement de continuation du salaire dans la pension à partir de 60 ans et qualitativement délie la pension du salaire pour la lier à l’épargne, au revenu différé et à l’allocation tutélaire (pour tous ceux que les durcissements des conditions et les difficultés à avoir des carrières complètes du fait de la précarité sur le marché du travail rejettent en dehors de l’assurance-retraite).

Ainsi, le COR prévoit un taux de remplacement en 2000 de 64% pour les cadres et de 84% pour les non cadres, et en 2050 de 43% pour les cadres et de 64% pour les non cadres. Pour Bernard Friot, il y a accaparement des gains de productivité par le profit du fait du gel du taux de cotisation patronale depuis 1991 et même de son recul depuis la fin des années 1990 avec les exonérations dégressives jusqu’à 1,6 fois le SMIC, et de la très légère hausse du taux de cotisations salariales depuis le milieu des années 1990. Il considère qu’il s’agit d’un assèchement planifié des ressources salariales du système des retraites. De ce fait, en 2010, si 80% des nouveaux retraités sont des « rentiers » bénéficiant d’une épargne financière, 20% des nouveaux retraités sont des « assistés » percevant une allocation tutélaire, et cet accroissement des inégalités devrait se poursuivre.

Il s’agit d’un ouvrage instructif et bien informé, dans lequel ou reconnaîtra le vocabulaire (ou la patte) d’un marxisme renouvelé (faut-il dire actualisé ?). La proposition intelligente de fonder la retraite sur la qualification suppose simultanément de restaurer la qualification comme pierre angulaire du niveau de salaire, ce qui n’est pas pour déplaire aux professeurs que nous sommes… Les retraités sont une richesse !

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